Abstract (in original language)
A quel point les outils numériques dont disposent les auteurs pour écrire des textes numériques interactifs prescrivent, formalisent, conditionnent, contaminent ou travaillent les œuvres produites? Pour répondre à cette question, nous nous livrons à l’analyse d’un corpus d’applications qui, même s’il ne peut être parfaitement exhaustif, se veut représentatif des tendances majeures de l’écriture numérique des textes interactifs à vocation littéraire. Une sélection d’œuvres emblématiques conçues à partir des programmes retenus approfondira parfois ce corpus.
Le corpus comporte à la fois des applications destinés à la création de fictions interactives comme le freeware Inform 7 qui consiste à la fois en un environnement de développement, et un code de programmation destiné à la conception de fictions interactives, des solutions web comme Undum ou Varytale : une plateforme consacrée aux hyperfictions et qui propose une chaîne complète d’écriture-publication pour les hypertextes, des outils de références comme le très célèbre mais désormais vieillissant StorySpace qui a permis de faire émerger des hypertextes majeurs ou encore des applications plus récentes comme le prometteur Twine qui permet de réaliser très facilement un hypertexte par l’intermédiaire d’une interface graphique matérialisant l’hyperstructure directement au moment de l’écriture. L’objectif de cet exposé ne consiste pas à étudier en détail chacun des outils mentionnés, ce qui serait impossible ici, mais de se concentrer sur l’étude d’au moins trois niveaux de travail des outils sur le texte produit.
A quel point et comment l’architecture (le design) de l’interface utilisateur pour l’acte d’écriture conditionne les écrits ? Où s’intègre cette interface dans le contexte plus global de l’interface utilisateur ? La compose-t-elle intégralement ou bien est-elle approfondie ou complétée par d’autres interfaces ? Lesquelles ? Quelle hiérarchie existe-t-il entre elles ? Comment est pensé l’acte d’écriture ? Comment les notifications informatiques côtoient le texte littéraire ? Quel code reste visible et jusqu’à quel point de la chaîne d’écriture ? En d’autres mots, il s’agit de s’interroger sur la place que l’outil accorde à l’acte d’écriture et sur sa manière de le présenter à travers l’étude des interfaces.
A travers les interfaces, le programme propose des fonctionnalités qui peuvent dépasser l’acte d’écriture, qu’il s’agisse de moyen de visualiser des structures, de débugger, de convertir, d’exporter… Que permettent ces fonctionnalités et quels liens peuvent-elles tisser avec la production effective de textes?
Le texte écrit nécessite de pouvoir être lu. Les outils de conception de textes interactifs ne sont pas souvent ceux permettant de lire les productions. Quelles relations s’établissent entre les « viewers » de textes et le texte au moment de sa conception. Ces modules de lecture externes qui peuvent être connus des auteurs modifient-ils son rapport à l’outil ?
Nous pourrons ainsi ébaucher les modèles de textes ou « textes modèles » (par analogie au « lecteur modèle » de H.R. Jauss) attendus par les outils et nous livrer à une analyse comparative. Les outils renvoient à des formes supérieures de textes qui travaillent par des rapports d’inclusion les écritures issues des outils du corpus et que nous qualifions à la suite de G. Genette (lui-même repris par Y. Jeanneret et E. Souchier) « architextes ». Comment l’architexte des applications affecte le texte ? Cet exercice nous permettra finalement de questionner la relation de pouvoir qui peut s’établir entre d’une part une dimension « technique » qui rend possible le développement d’un objet numérique et qui en prescrivant, inspire et d’autre part une exigence et une nécessité « sociale » sans laquelle l’écriture, l’acte d’écriture et par conséquent les outils n’auraient de sens.