Avec l’avènement de la cyberculture, on aurait pu croire, sinon à la disparition du livre, du moins à son usure en tant que modèle. Mais, dans les faits, nous assistons plutôt sur le Web à une prolifération des figures du livre. À cet égard, les œuvres hypermédiatiques d’Andy Campbell sont révélatrices. Sur son site, intitulé Dreaming Methods, il élabore une véritable poétique de la figure du livre et du papier en hypermédia. Toutefois, on le démontrera, chez Campbell, le livre fait moins l’objet d’un hommage qu’il est une figure à déconstruire par l’hypermédia (Cf. Paperwounds, et Surface). Nous nous attacherons à l’analyse précise de The Rut, présenté comme : « A self published book that never get back the front cover ». L’œuvre est composée des quinze versions du péritexte du livre simulé de Max Penn. The Rut, apparaît dans un premier temps comme un livre sans contenu, où la narration est déportée dans la fictionnalisation d’un péritexte, dont le sérieux et le formalisme se délite à chacune de ses occurrences. Dans les deux premières versions du livre numérique, une adresse Web est proposée au lecteur afin de contacter son auteur : http://www.dreamingmethods.com/penn/. Le lecteur qui clique sur ce lien accède à un onglet intitulé « The Drug Tunnel by Max Penn », il se trouve alors face à un texte tronqué. Est-ce le contenu du livre numérique dont le lecteur ne connaît que le péritexte ? Si c’est le cas, celui-ci est présenté au kilomètre et, de manière incongrue, dans une page Web. À chaque fois que le navigateur est rafraîchi, la mise en page du texte change. Le texte originel demeure le même, ce sont les sauts de lignes qui diffèrent ainsi que la quantité de mots et de lettres qui disparaissent. Un script PHP génère une découpe du texte aléatoirement. Le lecteur ne peut ainsi avoir qu’une vision partielle de l’intrigue et du sens du texte. Andy Campbell favorise, par l’usage d’un tel langage informatique, une poétique du bogue, en même temps qu’il souligne l’importance esthétique du code dans lequel se joue la lisibilité du texte. Dans The Rut, on a donc affaire à un livre vide de contenu, un pur paratexte, doublé d’une page Web rendue illisible, un pur code informatique. Le livre mis en scène par Campbell propose donc une figure vide, un objet inutile selon son usage usuel. Ainsi que l’analyse Bertrand Gervais, toutes les figures du livre « (…) viennent signaler la perte anticipée du livre. Le livre s’y absente. Le livre y est déjà absent. » (Gervais, Bertrand. Figures, lectures : logiques de l’imaginaire t. I.. Montréal: Le Quartanier, 2007, p. 159.)
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